douce amertume PV Cendre [HOT]

Le vent souffle dans les landes. Les herbes folles, s'agitent et se tortillent. Son corps les traverse. Le souffle fait claquer les étoffes sur sa peau tendre, le rend sourd à autre chose que son cri. Il s'allonge sur la vague verte. Sous son poids, la houle se calme, se courbe et moule sa silhouette. Il croise les bras sur sa nuque. Ainsi surélevée, son regard embrasse à la fois l'horizon et le ciel. Ses lèvres s'étirent de satisfaction. L'air cingle ses joues, ravive leur couleur fruitée. Ses paupières papillonnent face au soleil. Perché au dessus, il le bombarde de ses rayons incandescents et brûlant. Il le hait. Comme il hait tout ce qui brûle. Par la simple pensée, il le maudit, lui et ses compagnes que sont les flammes. Sa bouche s'ouvre. Il retient de peu le ras-de-marée de vulgarité qui dort dans sa gorge. Sous sa poitrine, il sent son cœur cogner, furibond de cet inexplicable comportement. Il tape pour lui rappeler la nécessité d'en prendre soin. « Va au diable ! » murmure t-il en fermant les yeux.
Les ténèbres ou la lumière ? Il a choisit. Par ennui, il se redresse, s'assoit et scrute la côte en contrebas. Sur cette falaise bordant la mer, il lui semble surplomber le monde entier. Il est le lion sur son rocher. Un lion avec le tempérament d'une lionne. L'âme du leader s'est doucement éteint. Il arrose la moindre lueur et conserve un grondement sourd. La folie le guette. Il secoue brièvement la tête. Sous ses yeux, des cernes pesantes et bleuies. Des cernes de douloureuses réflexions.
Sous les draps, il se tourne, se retourne. Le sommeil, jamais ne vient. La peine plus que la fatigue, l'assomme au lever du jour. Cadavre ambulant, il ne s'accroche qu'aux ébats qu'il partage avec elle. Cendre. Son prénom même l'écorche. D'envie, sa langue passe sur ses lèvres. Elles ont conservé sa saveur mais délaissé son nectar. Sa vision s'embrume par les réminiscences. Il s'approche du bord, laisse pendre ses pieds dans le vide. Quelques gravas se détachent de la parois, glissent et tombent avec fracas sur le rivage, non loin du sable de la plage.
« Cendre. »

Il faisait frais. Resserrant les pans du grand châle qui couvrait ses épaules tout contre sa poitrine, Cendre gardait les bras croisés. Le vent soufflait sur son visage, faisant danser ses mèches blondes, qui s'échappaient du chignon lâche qu'elle avait fait en un geste rapide et négligé avant de sortir. Mettant un pied devant l'autre, sans vraiment avoir de but précis, elle se moquait éperdument de savoir où ces pas allaient la conduire. Tout ce qu'elle cherchait était de semer ses maux à chaque foulée. Elle n'en voulait pas plus, mais ne pouvait pas se contenter de moins. Le soleil réchauffait ses traits fins de ses doux rayons semblables à une caresse, pour elle qui avait connu tant de souffrance. Une fois s'être, selon elle, suffisamment perdue dans cette nature, elle ôta ses chaussures pour le simple plaisir de sentir l'herbe verte sous ses pieds. Elle marcha un moment, retenant ses ballerines d'une main, perdant son regard au loin, jusqu'à ce qu'elle l'aperçoive. Lui. Sa silhouette qu'elle aurait pu reconnaître parmi cent autres. Elle soupira doucement, sentant son coeur se serré. Emprunt d'une colère indescriptible, mais battant à la fois à tout rompre, ce dernier n'allait donc jamais pouvoir poser des mots sur ces émotions et ce qui paraissait être des sentiments. Que pouvait-elle y connaître, après tout ? Elle, la petite nana blessée, égoïste, perdue et colérique. L'envie de l'aimer se voulait aussi oppressante que ce désir innommable de le détruire, de le faire souffrir. Et cela, autant qu'il avait pu le faire par le passé, par ces flammes ardentes qui l'avait rongé et marqué à jamais.

Cendre s'approcha, le plus discrètement du monde, restant silencieuse. Il était installé au bord de la falaise, les pieds dans le vide. Elle se tenait à quelques mètres du jeune homme, et c'est tout en laissant tomber ses chaussures au sol qu'elle finit par briser le silence :
« Fais gaffe, je pourrais avoir envie de te pousser... »
Pas de sourire en vue, juste cet air détaché qu'elle avait l'habitude d'afficher lorsqu'elle se trouvait avec lui. Il était ainsi impossible pour le jeune homme de percevoir la moindre faille chez elle. Il en savait déjà trop à son goût, en était bien souvent responsable, et elle le tenait à présent à une certaine distance de ses émotions, sans doute trop sensible, sentimentale et à fleur de peau.

Sa voix. Son sang ne fait qu'un tour. La surprise écarquille ses yeux. Sa tête pivote vers elle. Dès lors, la culpabilité. Elle le ronge sans elle, le dévore près d'elle. Déjà, il se sent plus lourd. Il soulève, durement, sa carcasse. Ces dernières années l'ont vieilli avant l'heure. Face à sa mine accusatrice : un sourire. Léger mais visible.
« Tu devrais peut être le faire. » l'encourage t-il.
Ainsi, elle l'achèverait. Pour de bon. Il soupire en mesurant l'ampleur de la satisfaction qui l'étreindrait alors. Un unique baiser de la mort et sa libération serait là. L'amener à lui serait une erreur, un acte lâche et irréfléchi. Alors, qu'elle le fasse.
Un élan de tendresse lance sa main vers elle et, la suspend. Vouloir et pouvoir se séparent d'un fossé démesuré. Ses doigts se referment sur du vide. C'est un poing qu'il ramène à lui. Il se crispe. Ses muscles, endoloris, se tendent. Son regard hésite, s'attarde tantôt sur la lande, tantôt sur ses yeux. Furibonds, ils l'agressent. Il accuse le coup. Sans broncher. Des lamentations ? Il n'en a pas même le droit et, moins encore, la volonté. Résigné à sa condition, il attend un signe. La moindre attention est synonyme d'espoir. Il en a peu. Elle le distribue avec tant de parcimonie qu'il succombera de déshydratation trop tôt. Le pardon ? Une illusion, une chimère loin devant lui. Par désespoir, il tend ses doigts vers elle. En vain. Par dépit, il lui tourne le dos.
« En bas, je ne te gênerais plus. » lance t-il. Sa bouche s'étire encore un peu plus. Las, il regrette déjà ces dernières paroles.
« Qu'est-ce que tu fais là ? » corrige t-il vivement en s'asseyant à nouveau au bord du précipice. Il a remarque ses pieds nus. « Elle va prendre froid. » pense t-il, sincèrement inquiet. Pourtant, il ne dit rien. La moindre remarque à son parfum et lui donne la nausée. Alors, se taire et voir.

Peut-être. Elle aurait peut-être dû le pousser. Le voir s'écraser en contre-bas. Se satisfaire de la simple image d'un homme blessé jusqu'à en avoir perdu la vie, dans une chute libre qui l'aurait enveloppé de peur et de regrets, qu'elle aurait souhaité infinie. Mais elle se serait de même infligée des maux, qu'elle aurait sans doute trouvé insupportable. Elle maudissait sa faiblesse, ce trouble qui s'emparait d'elle à chaque fois qu'elle se retrouvait près de lui, à lui faire face, affrontant son regard clair et ses mots.
« Ca serait trop simple. » -se contenta-t-elle de répliquer, en baissant le regard l'espace de quelques secondes. Ce n'est que lorsqu'il tendit la sienne vers elle que Cendre se décida à le fixer de nouveau. De la manière la plus simple qui soit, franche et sans le moindre artifice. Elle ne pouvait pas lui mentir de toute façon. Certes, elle avait désormais l'art de se dissimuler, celui de se soustraire à cette odieuse vérité qui la rongeait littéralement et avait un peu plus raison d'elle plus les jours passaient, que le temps filait entre ses doigts fins alors qu'elle serrait fermement ses petits poings dans l'espoir vain de le retenir et de le figer. Cependant, ses yeux l'accusaient, comme s'il ne pouvait pas en être autrement. Elle lui en voulait tellement, que les mots ne suffisaient pas pour l'exprimer, et que la jolie blonde se rabattait sur les actes, pensant inconsciemment pouvoir se soulager et s'apaiser. C'était inefficace. C'était inutile. Les mots qu'il voulait bien lui adresser la peinait. C'était un déchirement de l'avouer, mais c'était un fait : ils lui faisaient mal.
« Ta connerie non plus d'ailleurs... » -lança-t-elle, en levant les yeux au ciel. Crétin, pensa-t-elle à sa suite, alors qu'il lui tournait le dos pour retourner s'asseoir sur le bord du précipice. Elle eut un temps de pause avant de bien vouloir répondre à sa question, préférant s'avancer doucement jusqu'à lui, avec précaution, pour finalement s'asseoir à son tour, en grimaçant légèrement lorsque ses pieds touchèrent la roche froide. Dans un nouveau mouvement, elle resserra à nouveau le châle autour d'elle.
« Je me suis perdue. -mentit-t-elle, sans grande conviction. Et toi ? Tu t'es perdu, toi aussi ? Où t'as cherché à disparaître ? » Cendre tourna la tête vers lui, cherchant à capter son attention, où ne serait-ce qu'un regard, rapide et éphémère.

D'un regard, il jauge la profondeur sous ses pieds. Un frisson l'arrache à cette vision. La mer se rabat sur la côte puis, se retire. Encore et encore. Si son dessein est de désabler les lieux, de grignoter le monde, alors, qu'elle ne soit pas pressée. Son visage se tourne vers elle. Il évalue la distance entre leur deux épaules et prétexte de rabattre un pied sur la terre ferme pour frôler la sienne.
A nouveau, il soupire. La rengaine a tari son amertume. Cette fois, sa main n'hésite pas. Elle ramène une mèche, ballotée par la brise, derrière son oreille. Le maigre châle se soulève au moindre assaut venteux. Il retire sa propre veste, la dépose en supplément.
« Le sentier est a quelques mètres derrière nous. » précise t-il en riant de son mensonge. « J'ignorais que tu avais un tel sens de l'orientation. Je vais devoir te suivre partout pour ne pas te perdre. »
Il plaisante. L'étrange légèreté qu'il affiche sonne fausse. Il feint. Au fil des ans, prétendre est devenu son art. Il craint de ne plus se relever, s'il se laissait abattre par ses mots. Aussi, s'en détache t-il. Autant qu'il peut. Et, au lieu d'une plaie béante et profonde, ce ne sont qu'une multitude d'égratignures gravées sur sa peau.
Elle persiste dans son mutisme. Il traine ses doigts jusqu'aux siens. L'air de rien mais l'aspect de tout. Sa chair froide sur la sienne lui glace l'échine, lui picote la nuque.
« Je me demande à quoi tu ressemble quand tu souris. » la charrie-il en soulevant son regard. Ses sourires sont des mythes. D'autres l'ont découverts. Bien avant lui. Son esprit conçoit difficilement de telles chimères. Comme s'il attachait sa figure à cette bouche moqueuse, boudeuse mais en aucun cas rieuse. Et, il s'en afflige. C'est lui, le coupable, de cette attitude.
« Essaye pour voir. » se risque t-il.
Même simulé, il embrasserait cet hypothétique sourire.

Cendre mentait. Comme bien souvent d'ailleurs. Mais là, elle se moquait de l'impact de ses mots, préférant laisser ses pensées se tourner vers l'impact à proprement dit qu'aurait le corps d'Epiphane sur le sol si l'envie de le pousser dans le vide lui prenait. Bien sûre qu'elle ne s'était pas perdue. Bien sûre qu'elle n'avait rien trouvé d'autre à répliquer. Mais au fond, est-ce que la réponse l'intéressait vraiment ? Elle en doutait. Et il fallait être complètement idiot pour la prendre au sérieux, lorsqu'on savait qu'elle aimait flâner de la sorte, profiter du grand air et en emplir ses poumons de cette fraîcheur avec une certaine part de soulagement inexplicable, de libération et d'évasion. Le jeune homme ne pu qu'en rire doucement, s'étonnant avec fausseté de son mauvais sens de l'orientation. Comme si sa perte viendrait à le déranger ! Les mots qu'il lui avait précédemment adressé pouvait lui être retournés sans la moindre difficulté.
« Tu n'auras pas besoin de faire semblant de me suivre, de veiller sur moi... Je ne m'éclipserais pas si facilement. Je ne te ferais pas ce plaisir. » Elle en connaissait une qui s'en ferait même une joie, sabrant le champagne pour fêter cette disparition, et ce qui aurait pu paraître pour beaucoup comme une victoire, mettant un terme au conflit qui les animait à l'heure actuelle. Plutôt vivre en martyr plutôt que de laisser un sourire fier et victorieux se dessiner sur ce visage qu'elle haïssait désormais.
Cendre posa son regard sur leurs mains, ses doigts venant chercher les siens, dans une caresse aussi froide que l'était l'air qui venait fouetter leurs visages. Une réflexion. Une interrogation. Mais un silence pour toute réponse. La blonde restait muette, le fixait de ses yeux clairs. Il désirait un sourire ? Vraiment ? Elle n'en avait pas la moindre envie. Pas maintenant. Pas pour lui. Pas ici. Soupirant doucement, Cendre céda et esquissa le sourire le plus forcé qui soit. On aurait d'ailleurs pu le traduire par un simple : « Tu m'emmerdes. » significatif.
« Je me demande à quoi tu ressembles quand tu connectes plus de 2 neurones... » Elle donnait toujours dans cet élan de provocation. Comme pour le tester, le pousser encore plus loin, et peut-être le faire franchir la frontière de sa patience. Elle avait l'impression qu'aussi méchante soit-elle, il se laissait détester et l'acceptait. La colère et la rancune le lui soufflait : il le méritait.

Sarcastique jusqu'aux orteils. Son cœur se pince. Une seconde. Puis, le pardon. Que sont des mots durs face à une brûlure ? Rien. Caresses contre gifle. Il sent les premières, la seconde, le tétanise. Ses sourcils pèsent et se froncent. Mouché, il scelle sa bouche et la condamne au silence. Alors, à nouveau, le souffle du vent prend le dessus. Il fouette. Rageur et gelé. Plus loin, une vague s'écrase avec fracas contre le récif. La mousse blanche remonte et pétille à sa surface. Sa langue passe sur ses lèvres sèches. Les gerçures, humectées, disparaissent un moment puis, reviennent. La colère accumulée jusqu'alors fait trembler ses mains. Il délie celles prisonnières de ses griffes. Il aurait fui. Mais, pertinemment, il sait qu'elle ne manquerait pas de le rattraper de lui rappeler ce pour quoi elle se montre si rude, d'exposer l'immonde cicatrice qui balafre son dos. Sa poitrine se soulèverait de cette vision. Rien ne changerait. Le lendemain, elle aurait toujours sa rancune et lui cette responsabilité.
Il ébroue ses cheveux. Plein de sable.
« Tu m'énerves. » crache t-il. « Ça te tuerait d'être aimable une seconde ? »
Le ton est sec, les mots, durs. Une rafale s'ajoute à la sienne. Il voit les choses s'envenimer, la situation déparée. Le sang bat si fort contre ses temps qu'il en a la migraine. Il serre les dents, les poings pour ne laisser d'autres remarques acerbes glisser de sa bouche.
« Tu me tues. Vraiment. » soupire t-il avec plus de calme.
La vérité n'est pas loin. Il se saisit d'un caillou, le jette dans le vide. Il en garde un autre entre ses doigts et le laissent rouler dans sa paume. Inlassablement, il se repasse la scène de ce jour fatidique. Il se damne, se fustige. Le stade des simples regrets est franchit depuis longtemps. On ne peut pas défaire ce qui est fait. Le passé hante son présent, pollue son avenir. Mais ce moins le sien qui lui importe que celui de sa victime.

S'il n'avait pas commencé, s'il n'avait pas fait tant de de mal, jamais il n'aurait eu à supporter tout ça. Jamais le sourire en coin de Cendre ne se serait terni, laissant sa place à la dureté de ses mots, qu'elle s'efforçait de manier avec précision, comme s'ils avaient été des lames. Tranchantes. Blessantes. Pour peut-être lui mettre le coeur à sang. L'étouffer, le griffer, l'asphyxier, le déchirer... Le brûler. Elle lui voulait du mal, tout comme elle ne pouvait s'empêcher de l'aimer. Et là, Epiphane lui confiait son agacement. La fragile blonde se montrait bien plus forte que ce qu'elle laissait paraître, marquant des points de sa douce voix. Son regard pouvait lui lancer des éclairs, alors que dans un écho sa voix grondait et lui rappelait alors sa faute, sa responsabilité face à ses maux.
« Il ne faudrait pas que tu apprécies et y prennes goût... » -lança-t-elle, sans détacher son regard de l'horizon. Elle préférait de loin lui cracher sa colère au visage. Et si ça faisait mal, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui. Il ne la comprenait pas, et n'en serait jamais capable. Il était comme tous les autres. Très vite il cesserait de la voir, tout comme son sourire qui s'était éteint avec les braises chaudes de cet incendie.
Cendre replia ses jambes, qu'elle ramena sur le côté, prenant soin de prendre appuis sur le tissu de sa jupe. A présent à genoux, sans se soucier le moins du monde du vide non loin d'elle, la jeune femme se tourna vers Epiphane. Elle se retenait. Ravalait ses mots. Abaissait ses armes. C'était tout ce qu'elle voulait entendre, se moquant de cette cruauté qui désormais l'habitait. Doucement, elle se rapprocha de lui. Si proche, que son souffle vint caresser sa joue. Puis un silence. Quelques longues secondes. Un murmure.
« Je n'en espérais pas tant... » -venait-elle de glisser à son oreille, ponctuant ses propos d'un très léger et chaste baiser, sur sa mâchoire marquée et nettement dessinée, à la naissance de son cou. Puis elle se recula, d'une vingtaine de centimètres tout au plus, ajoutant à sa suite : « M'en voilà ravie. »

Elle l'assassine avec délectation. Il meurt avec enivrement. Leur poison est une friandise. Elle fond sous leur langue, distille sa saveur amer. Son acidité force les sourires, fait grincer les dents. Sa couleur -rouge pour lui, noir pour elle- agresse. Et il le suce comme on suce un caillou lisse et blanc. Leur palet s'en irrite. Ils supportent rougeur et douleur. Les plaintes existent. En ces rares cas, ils ont honte.

Ses lèvres sur sa peau. Sa vie se suspend. Difficile de jouer la carte de la placidité quand sa chair vibre d'euphorie. Sa contrariété se terre et se tait. L'exaltation le transporte. Son regard rembruni se jette sur sa bouche, suivit de près par ses lèvres. Son corps tout entier s'est penché vers elle. Le vent ne l'atteint plus. Sa conscience est rivée sur une seule et unique chose : elle. Ses gestes assurés, conservent une certaine candeur. L'application les accompagne. Il lui cède tout. « Demande et j'exécute. » entonne sa langue. Les plaisirs de l'échange remontent à ses joues, coulent dans ses doigts. Il n'est plus question de chasteté mais de lubricité. Son souffle tiède, s'embrase. Il rompt tout, craignant de la brûler encore. Sa poitrine se soulève.
« Heureux que tu le sois. » expire t-il.
Il craint qu'elle sache tout le bien qu'elle lui fait. Il craint qu'elle l'apprenne et l'injurie. Enfin, il craint qu'elle corrige son erreur, que son attention, que son aversion, devienne ignorance et éloignement. Car le délaisser serait le meilleur moyen de l'anéantir. Il frisonne à cette simple idée. Sa tête voudrait qu'il lui confesse cette angoisse. La peur, l'égoïsme, le retiennent.
« Je déteste quand tu fais ça. »
Quand elle le mène à ses retranchements et exulte de son irritation, quand elle s'approche de lui et, par un murmure, fait de lui un simple pantin.

Elle pouvait bien ne penser qu'à elle, en avoir conscience, que jamais ô grand jamais elle ne s'en voudrait. Surtout pas pour lui. Elle se réjouissait de ses tourments, se délectait de ses regards parfois fuyants, de ses regrets, de sa bêtise. Il était l'oxygène qui lui brûlait les poumons et la tuait à petit feu. Il n'était que poison sous sa peau, et pourtant vital. Impossible de dissocier et ne serait-ce que discerner amour et haine. Epiphane pouvait bien aller brûler en enfer que pour elle les flammes de sa prison n'entamerait jamais assez sa chair. Provocation se mêlait à sa douceur naturelle, dans un murmure et un délicat baiser. Elle s'était rapprochée, goûtant à sa peau dont le parfum était en soit un véritable pêché. Pas autant que ses lèvres. Pas autant que cette chaleur qui s'emparait d'elle dès lors qu'elle le sentait tout contre elle. Il éveillait ses sens, embrasait sa peau meurtrie. Pourtant il se stoppa, les arrêta et répliqua. Il avait un don. Celui de l'agacer, autant que de l'attirer. Elle avait envie de le gifler. Sa main venant claquer sur sa joue aurait été un vrai soulagement, un exutoire. Mais elle demeura immobile, le regard voilé par un désir noir et profond.
« Quand je fais quoi ? -questionna-t-elle, employant un ton sec, franc, le poussant à se livrer. Allait-il en avoir le temps cependant ? Elle ne comptait pas le laisser répondre.- Ca ? » Elle avait haussé le ton, puis avait crocheté son cou pour l'amener à elle. Se redressant légèrement, ses lèvres avaient volé les siennes, dans une fougue innommable. Expliquer sa réaction relevait de l'impossible. Elle-même était incapable de le faire, si ce n'était en le mettant sur le compte d'une pulsion. Cendre était loin d'être comme les autres, d'être prévisible et compréhensible. Elle venait de l'embrasser, sans la moindre once de retenue. Ses mains s'étaient plaquées sur sa nuque, elle avait presque forcé la barrière de ses lèvres, pour venir y chercher sa langue et entamer un sensuel ballet. Sauvage et passionné. Qu'avait-il à répondre à présent ?

Fougue. Ardeur. Véhémence. Des noms trop abstraits, trop flegmatiques, pour convenir à ce baiser. La frénésie pousse son corps vers le sien. A nouveau, il succombe. Sa hargne capitule, s'assèche. La fièvre l'emporte. S'en est presque violent. Sa main glisse sur sa hanche, termine dans son dos. Elle s'évertue à l'amener plus près de lui. Jamais assez à son goût. Un râle, une bouffée d'air et un énième assaut est donné. Plus féroce. Comme si ces baisers n'exprimaient que rancune et animosité. Quelle délicieuse haine ! Les effluves de sa peau parfument la sienne. Capricieusement, il fait le difficile, quémande et prend d'avantage. Un sourire douloureux étirent ses lèvres une courte seconde. La marionnettiste tire les ficelles. A juste titre, il met en doute la sincérité de ces caresses. Et si, l'illusionner sur son penchant, était son véritable dessein ? Son avidité met un terme à ces réflexions. Il récidive. N'est-ce pas qu'on attend de tout criminel après tout ? Ce crime-ci lui plaît trop pour s'assagir. Seul les appels d'air peuvent suspendre son contentement, son trépas, l'éteindre. La trêve qu'elle lui accorde ravive son humeur, sa chaleur. Il exulte de tendresse. Le regard qu'il lui lance est son témoin. « Ne te moque pas de moi. » lâche sa conscience. Rien ne laisse même entrevoir une telle réticence sur son visage. Au contraire. Son corps s'avance doucement un peu plus. Sa main gauche est toujours figé sur ses rein, l'autre se soulève jusqu'à sa joue, descend sur sa nuque. Ainsi, elle peut retenir le démon revanchard qu'il renverse sur l'herbe. Le vent les fouette avec. Ils n'en ont cure. Penché au dessus d'elle, il marque une halte. Juste le temps d'admirer la couleur de ses yeux, les courbes de son nez, de sa bouche. Ses sens s'affolent de leur saveur.
« Tu me déteste encore ? » demande t-il.
Lui même ne sait si sa question est ironique ou sérieuse. Comme à chaque fois. Car l'interrogation est fréquente sur ses lèvres. Il attend juste que la réponse soit différente des autres fois.

Il l'animait, la faisait vivre sous ses doigts, alors qu'elle se délectait de la douceur de ses lèvres. Chaque secondes, chaque instants, pouvaient bien être les derniers. Cherchant à obtenir toujours plus de lui, d'avoir cette emprise pour mieux en jouer par la suite en digne manipulatrice qu'elle était parfois, Cendre l'attirait. Elle avait parfaitement conscience de cette influence, relançant de plus belle les assauts de ses lèvres, dévorant sa bouche comme si elle n'avait été qu'une gourmandise, un péché conduisant à cette délicieuse luxure. Elle se retenait de le mordre, violemment, l'effleurant simplement de ses dents lorsqu'il reprenait son souffle et qu'elle lui accordait une trève. Courte. Mais néanmoins toujours trop longue à son goût. Son regard plongé dans le siens tentait de le sonder, en vain. Ca ne faisait qu'alimenter sa haine, ayant le sentiment que même dans le plus grand silence qui soit, il se dérobait et lui échappait. Elle voulait l'achever, en un baiser. Lui faire payer par le poison de ses lèvres roses et charnues. Doucement, il venait de la renverser. Sa crinière blonde s'étalait désormais sur l'herbe verte, dans un halo ; alors que ses yeux clairs ne cessaient de le fixer. Sérieuse, les traits néanmoins plus chaleureux que d'ordinaire, Cendre ne s'étonna pas de sa question. Il était au-dessus de lui, et se demandait si elle le détestait encore.
« Evidemment... » souffla-t-elle, comme si l'interrogation du jeune homme n'avait été que bêtise et naïveté. Elle le détestait, plus que de raison, et peut-être plus que son amour. Bien parce qu'elle ne connaissait pas ce dernier sentiment, et qu'elle ne parvenait pas à le discerner. Ses doigts se crispèrent sur son torse, se refermant sur son vêtement, et elle l'attira à nouveau contre elle. Elle voulait sentir ce poids sur son corps frêle et fragile, torturant son esprit et ses souvenirs pour pouvoir le lui renvoyer en plein visage par la suite. « Embrasse-moi. » -laissa-t-elle échapper, de sa voix douce et posée, alors venait de déposer un baiser au coin de ses lèvres. « Embrasse-moi ou je vais te haïr comme jamais on ne l'a encore fait. »

Ses lèvres sont l'émulsion, le catalyseur de ses joies et ses peines. Il boit tout ce qui en sort. Sans distinction aucune. Leur origine certifie, atteste. Sur elles et au-delà, le mauvais du bon n'est plus distinguable. L'arôme de la haine, l'effluve de la passion suintent sous leur membrane rosée. Il hésite à les rejoindre. Le prochain baiser et c'est l'ivresse. Il la sent fouettant ses joues, brouillant ses yeux et son esprit. Mais, ce qu'il faut savoir c'est que le buveur feint. Il feint d'ignorer son enivrement.
Il l'embrasse. Sur le coin, sur l'autre, sans prêter attention à ses tentatives de s'en saisir entièrement. Il joue avec les cendres sans craindre de les voir s'embraser. Sa main remonte sur sa cuisse, froisse le tissu de sa jupe et se glisse entre son chemisier et la chair de son ventre. Il frémit. La chaleur longe sa colonne, irradie et picote sa nuque. La brise n'est plus assez froide pour le tempérer. L'herbe ne fouette pas assez fort pour détourner son attention. Sa bouche rampe sur son menton puis, dans cou. Sous sa poitrine, son cœur ne bat plus, il cogne à tout rompre, saccade,hache sa respiration. Entre chaque contact, il se languit d'elle, tente d'allonger le suivant de quelques secondes de frénésie supplémentaire. Vient le moment où ses capacités freinent ses attentes. Alors, furieux contre lui, il grimace. Des rictus invisibles que seuls hommes savent reconnaître.
Ses doigts s'appliquent à défaire les premiers boutons de son haut tandis qu'il la divertie d'un nouveau baiser, laisse courir son autre main sur le rebondie de son fessier. Avide, il est aussi impatient et, prudent. Il est toujours en alerte du moindre signe de refus. Ses yeux ne cessent de la questionner. « Tu veux continuer ? » lui murmurent-ils. La porte de sortie, l'échappatoire, lui restent grands ouverts.

L'appel de ses lèvres se voulait pressant. Elle ne pouvait pas y échapper. S'y dérober se révélait être impossible. Comme un aimant venant s'accrocher à une plaque de métal, trop lisse, trop froide, le corps de Cendre était attiré par celui du jeune homme. C'était ça. Ils n'étaient que deux aimants qui ne faisaient que céder à cette irrémédiable attraction, pour finir par se repousser violemment. A leur différent se soustrayait, l'espace d'un instant, sa colère. Tout comme un simple « i » pouvait s'effacer à l'aimant, ne laissant que des amants... Son souffle se faisait de plus en plus court, alors que ses mains glissaient de sa nuque à son torse. Elle en voulait plus. Toujours plus. Qu'importe la rancune qui pouvait animer son coeur, l'étreignant jusqu'à le contraindre à une lutte acharnée pour ne pas rendre l'âme et se taire. Elle lui ordonnait de l'embrasser, lui faisait du chantage, le poussait à céder face à son attitude provocante et purement égoïste. Et sous ses mains, elle frémissait. Sa peau se délectait de la chaleur de celles-ci, alors que l'une d'elle remontait sur sa cuisse, pour filer sous son chemisier. Et ses lèvres étaient un vrai supplice. Elles lui arrachaient de légers soupirs, alors qu'elle se raccrochait à son propre souffle, comme s'il n'avait été question que d'une bouffée d'air, vitale et essentielle.
Cendre voulait fuir, le laisser seul dans sa frustration et l'écho d'un éclat de rire. Le sien. Celui qu'elle aurait laissé s'échapper de sa bouche rosée, le voulant semblable à une lame visant à le blesser. Cependant, elle ne parvenait pas à quitter cette étreinte. Et ce regard, qui la fixait, l'interrogeait, semblait aussi lui demander de rester, de manière dissimulée. Elle en avait l'impression... L'espérait peut-être... Ou le craignait. Elle n'en savait rien. Dans un nouvel élan passionné, elle l'attira contre lui. Avec fougue, Cendre vint chercher sa langue, lui brûlant les lèvres d'un baiser.

Sous ses caresses, il s'épanouit. Vraiment. La félicité étire sa bouche. Cette dernière, s'attarde au bout de son nez fin. Le temps d'ôter son haut, son corps se redresse puis, redescend. Nonchalamment. Ses doigts terminent ce qu'ils ont commencé et ouvrent son chemisier. Il se penche sur son ventre découvert. De son nombril, ses baisers, ses effleurements, remontent jusque sur son cou, dans ce creux creusé par l'absence d'une pomme : la pomme d'Adam. Sa langue comble ce manque et, plus encore.
Babylone brûle.
Une de ses expirations se changent en râle. Il emprisonne ses mains au dessus de sa tête. Alors, il a tout le loisir de l'admirer, de l'adorer. Son adoration trouve ses bornes dans le doute. Les suspensions planent au-dessus de lui. Il la noie dans un nouveau baiser. Plus langoureux, plus rapace. Relâchant la pression, ses paumes glissent le long de ses bras, saisissent sa taille, déboutonnent sa jupe.

Elle ressemble à ces poupées de cire. Leur peau nacrée, lisse et douce, leur bouche gonflée et rutilante, leurs cils courbées et noircis, son corps gracile et léger. Belle. L'adjectif s'impose mais évoque à sa mémoire d'autres souvenirs qu'il s'empresse d'enfouir. Pour l'y aider, ses yeux, un moment, se ferment, sa bouche se précipite sur ses lèvres. Il maudit ses parents d'avoir ainsi appelé leur fille. Il se refuse à y penser, à imaginer sa silhouette ou l'éclat de son rire. Sa tête nie tout pour une autre drogue. Dure. L'autre, était douce. A nouveau, ses paupières tombent. De frustration. La fatigue brouille sa concentration, l'irrite. Le baume à ses tourments n'est pas loin. Le corps sous le sien le fait fondre. La sueur colle ses cheveux sur ses tempes, sur son front. Ce visage. Ce cou. Son cœur jongle dangereusement entre l'étouffement et la dévotion.

Spoiler:

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